JAZZ [at] BOTANIC (4) Toons/Lee Konitz-Dan Tepfer/Alexandra Grimal trio

Dimanche 27 juillet 2014 – Écrit par Dom Imonk

Gros passage d’ovni hier soir au Caillou ! Toons ! Même si on avait déjà été enthousiasmé par le « Can you Smile ? » (ayler records) du Théo Ceccaldi trio + 1, avec en guest la géniale Joëlle Léandre, même si l’album « 7 nains » (Tricollectif) de Toons, avait été encensé par la critique, on ne pouvait pas s’attendre à une telle bombe sur scène. En moins d’une heure, ces cinq musiciens d’exception nous ont carrément assujettis à leurs délires sonores, en mouvement constant, et de manière durable dans nos esprit. Le concept de l’album, déroulé sur scène hier soir, ce sont les 7 nains, et la question du soir, mais où est Blanche Neige ? Peut-être, comme le supposait un illustre acteur du jazz local, « dans le rappel non réclamé par le public », lequel était clairsemé et pas très énervé, il faut bien le dire. Quel dommage ! Il reste l’album, mais ce n’est pas pareil. En live, la musique est presque indescriptible. L’album est joué d’une seule traite, et les divers climats correspondent à chacun des nains. Les Toons se définissent comme « mi-figue, mi-punk », mais il y a de ça. On aborde tout, par bribes, éclairs, ou citations instantanées, dans une sorte de « télurie » réjouissante et inventive. Presque tout y passe, du jazz, même le plus ancien, au post-rock, en passant par le rock progressif, la fusion, le jazz-rock, le bruitisme, le contemporain même….C’est fou, fulgurant, incroyablement bien-maitrisé, pas question de perdre pied, surtout dans les plus brûlants des paroxismes, là où tout semble s’affoler parce que le groove devient époustouflant, presque comme le réacteur d’une navette spatiale. Je grossis à dessein le trait, mais c’est très près de ça. Les musiciens sont tous d’un très haut niveau et sont très à même de maîtriser un tel bolide, fait pour le futur. Théo Ceccaldi au violon, et son frère Valentin, compositeur de cette pièce, bassiste et violoncelliste, sont aux commandes. Les autres membres de cette équipe de « cosmiques » furieux livrent aussi un travail considérable. Gabriel Lemaire excelle aux saxes (alto et baryton) et à une  petite clarinette basse (je n’en connais pas le nom), on pressent chez Guillaume Aknine, la « patte » de ces grands guitaristes français chercheurs de sons et de « soundscape » (Max Delpierre, Gilles Coronado…). Quant’ à Florian Satche, son drumming nous a carrément scotchés, mais c’est vrai que depuis le début de cette première session du festival 2014, nous avons été très gâtés question batteurs ! Toons est un groupe à faire connaître, une belle renommée critique et écrite, c’est déjà bien, mais les programmateurs doivent impérativement se pencher sur eux et les programmer. On ne doit pas laisser dépérir de telles fleurs musicales ! C’est une question de vie ou de mort des idées neuves et de la poésie du futur ! Eux sont dans le vrai, écoutons-les !

Florian Satche Gabriel Lemaire Théo Ceccaldi Toons Valentin Ceccaldi

Le luxe d’un festival, c’est aussi les intermèdes qu’il peut offrir. Ainsi, hier soir, sur la scène du restaurant du Caillou, excusez du peu mais on a pu apercevoir et apprécier Rick Margitza (sax), Peter Giron (ctb), Philippe Gaubert (bat) et le pianiste Dan Tepfer, venu les rejoindre pour faire le bœuf. Et un peu plus tard, comme la veille, le duo Lee Konitz/Dan Tepfer pour trois morceaux, en guise de répétition pour le concert de ce soir…

Fin de soirée avec le trio d’Alexandra Grimal. Là on est aux antipodes de Toons. Tout est plus intérieur, à la limite du méditatif. Semblant toute frêle derrière son sax ténor énorme, elle parvient néanmoins à livrer de très belles phrases, on ne sait d’où elle puise son souffle, mais il lui vient comme naturellement, et lui permet un discours souvent assez coltranien, à la limite de l’illuminé. Et du souffle, il en faut pour pareilles escapades. Beaucoup d’espace et d’ampleur dans les thèmes abordés, et aussi un côté assez spartiate, mais c’est sain et vivifiant. A ses côtés, deux grands alchimistes des sons, en particulier le remarquable Jozef Dumoulin au piano, dont à mon humble avis le récent « A Fender Rhodes Solo » (BEE JAZZ) est une totale réussite. Et c’est très bizarre mais il m’a semblé retrouver, de manière furtive, les sons du Fender Rhodes dans ceux qu’il parvenait à extraire de son piano, cette manière particulière de frapper ses touches, pour en extraire des sons de bois bruts, comme biaisés, presque tus ou étouffés, proches, en « racine », de ceux de son clavier électrique favori. J’ai aussi pensé à John Cage et ses « pianos préparés », quand il traficotait, en chirurgien sonore, les entrailles offertes de son piano libéré. Jozef Dumoulin fourmille d’idées et l’on m’indiquait que c’est un véritable et insatiable chercheur. Et on aime à le croire. Par la grande variété de sa  palette, il a ainsi offert une contrepartie avant-gardiste aux assertions presque austères d’Alexandra Grimal, mais ça leur a fait du bien. Je disais plus haut que cette première session était riche en batteurs. Alors que dire du grand Dré Pallemaert qui tout au long du set n’a eu de cesse que de relancer et de soutenir ce trio d’une exquise façon ? Il a cette élégante assurance qui pour moi est celle d’une folie intérieure contenue, celle de ceux qui ne livrent pas tout mais se privent de telle ou telle note, pour mieux donner sa chance à la suivante. Folie et pulse retenue, mais admirable drive en toutes circonstances. Très beau trio à suivre absolument !

Alexandra Grimal trio 2 Dré Pallemaerts 3 Jozef Dumoulin

Pour avoir eu la vision, le nez et le courage d’avoir programmé tous ces artistes, depuis le début du festival, ainsi que ceux à venir, il faut vraiment remercier très chaleureusement toute l’équipe du Caillou du Jardin Botanique, et en particulier Benoît Lamarque et Cédric Jeanneaud. C’est très fort ce qu’ils ont fait ! On espère de tout cœur que la 2° session d’Août drainera un lot croissant de fous de ces jazzs là, qu’ils pourront « équilibrer » et percer encore plus, et, surtout, que cette expérience sera renouvelée l’an prochain avec un « ACTE III », et les années suivantes aussi…

Ce soir, il ne faut surtout pas louper Lassere-Le Masson-Duboc et Lee Konitz-Dan Tepfer, c’est la dernière de la session de juillet !

Dom Imonk

Photos © Thierry Dubuc – 2014