Nougaro en 4 couleurs

Créon le 16 avril 2015.

Texte : Philippe DESMOND ; (belles) photos : Thierry DUBUC

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La salle bondée est bruyante, animée, vivante, gourmande, les assiettes passent, les pâtisseries circulent, le son des bouchons qui sautent rythmant le tout. Nous sommes à Créon pour un traditionnel jeudi du jazz. Au menu, pardon au programme, un hommage à Claude Nougaro. Du jazz Nougaro ? Et comment ! Serge Moulinier qui présente la soirée rappelle que le 12 avril 2002 le petit taureau déjà atteint était venu ici-même pour son spectacle « Fables de ma Fontaine ».

C’est à la mode les hommages, même du vivant des artistes, Renaud, Dutronc y ont eu droit dont le dernier récemment. Des hommages vraiment ? Des dommages plutôt, tant ces produits marketing sont insipides de par les adaptations et les interprétations par des pseudo-vedettes.

Ce soir nous sommes dans un autre registre nous allons vite le découvrir. D’abord celui qui va chanter est une femme…

Un narrateur est aussi présent. Pas n’importe lequel, Christian Vieussens. Qui mieux que lui, compagnon de musique et de bouteilles de Claude lors de ses collaborations avec la compagnie Lubat, lui qui a un peu le même gabarit et qui a surtout la même verve et le même amour des mots, ces mots qu’on casse comme des œufs, qui mieux que lui pour citer ses poèmes, parler ses chansons, jouer avec ses mots ; un « homme lettres ». Il va ainsi ponctuer le récital des textes poétiques de Nougaro, ces textes plein d’allitérations gourmandes comme Claude l’avait fait à la fin de sa carrière dans ce lieu.

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Ça commence, la lumière est belle, pourtant « la Pluie » arrive aussitôt pour nous faire des claquettes. Ils sont là tous les cinq dans un décor minimaliste et élégant. Et elle se met à chanter. Elle, Carole Simon merveilleuse de charme, rayonnante dans sa robe corset. Et ça va aller crescendo dans l’émotion et dans la beauté musicale. « Ma cheminée est un théâtre » nous révèle les racines espagnoles de Carole, ses bras mimant les flammes avec cette grâce de la danseuse de flamenco qu’elle sait être aussi. C’est beau une femme qui chante.

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Mais ils sont cinq donc et je n’en ai évoqué que deux ; ce soir on célèbre Claude, artiste au prénom mixte, un homme et une femme pour dire ses mots c’est logique finalement.

Sur scène Valérie Chane-Tef au piano et avec quel talent mais surtout créatrice de ce projet un peu fou. Arrangements, réécriture tout ça c’est elle. Elle dirige le groupe de son beau regard bienveillant, même pas peur d’endosser le costume de Maurice Vander ! A la rythmique le discret et excellent Benjamin Pellier et sa basse et le local de l’étape Didier Ottaviani remarquable de finesse et de précision. Avec eux pas de problème, le jazz sera lui aussi à l’honneur.

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Les titres s’enchaînent dans des arrangements originaux ne singeant pas les œuvres originales mais les interprétant – au vrai sens du terme – avec audace et respect à la fois. « Splaouch », « Paris mai », « Une petite fille »… Carole nous dira qu’elle a dû adapter les paroles qui à l’origine sont celles d’un homme et qui auraient pu être ridicules dans sa bouche, une réussite encore.

Après une pause où le public déjà interloqué a pu un moment retomber sur terre, le concert part vers des sommets d’émotion. « Cécile ma fille » bouleversante – des larmes de bonheur coulent, je confirme – « Il y avait une ville » surréaliste et magnifiée, « Le cinéma »…

Christian Vieussens seul nous susurre alors de sa flûte la mélodie de « Rimes » d’Aldo Romano, nous en récite les vers, puis reprend son instrument accompagné par le public d’un doux murmure chantant ; magique.

Le jazz, le narrateur l’a évoqué, Don Byas, Mingus… le voilà qui déboule maintenant. « A bout de souffle » et Dave Brubeck (dans lequel chanteuse et musiciens n’ont pas le temps de s’écouter et foncent, me dira Carole, elle accrochée à l’histoire eux au rythme) « Sing Sing Song » et Nat Adderley, « l’Amour sorcier » et Maurice Vander, « Bidonville » et Vinicius de Moraes… Ce concert est une merveille.

Après l’ovation finale d’un public debout voilà le sublime « Dansez sur moi » version française du « Girl talk » de Neal Hefti ; tiens un clin d’œil ?

Une ombre s’éclipse dans les cintres, n’ai-je pas aperçu une écharpe blanche ? Lui aimant tant les femmes je suis sûr qu’il est venu faire un tour pour les écouter et les voir magnifier son œuvre. Les hommes n’ont pas démérité loin de là, il a bien dû avoir envie de leur donner une tape dans le dos.

Pari audacieux, pari risqué mais pari bien gagné ! Merci à ces artistes pour ce concert, merci à Valérie Chane-Tef pour son audace. Personnellement il y a longtemps que je n’avais pas eu une telle émotion. Allez les voir le 13 juin au Centre Culturel La Ruche à Saucats dans le cadre du festival Jazz and Blues.

Merci à l’équipe de Larural d’offrir – c’est le mot juste – au gens la possibilité de découvrir des belles choses car il est sûr que la majorité des personnes présentes ne venaient pas pour ces artistes en particulier mais parce qu’elles savaient que la qualité serait au rendez-vous. On était même au-delà.

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