Shekinah Rodz Quintet – Festival Jallobourde Saint Jean d’Illac 23 janvier 2015

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Ce soir une partie de la troupe d’Action Jazz a rendez-vous dans une école maternelle, celle de Saint Jean d’Illac; plus précisément dans l’enceinte de cette école à la salle Louis Armstong ; tout cela est bien insolite mais c’est le lieu choisi pour cette deuxième soirée du festival Jallobourde 2015. A la grande surprise et à la grande joie des organisateurs cette salle va s’avérer bondée pour accueillir le Shekinah Rodz Quintet. Petit bémol, le public – moi compris – est un peu trop grisonnant… A nous de faire venir les plus jeunes !

Présentons rapidement Shekinah Rodriguez, maintenant Gatto pour l’Etat Civil, à laquelle la Gazette Bleue N° 5 avait consacré une interview. D’origine Portoricaine née aux USA elle s’est fixée en France et plus précisément à Bordeaux depuis quelques années où il y a de nombreuses occasions de l’admirer. A ses immenses qualités d’instrumentiste aux sax alto et soprano ainsi qu’à la flûte et aux percussions s’ajoute celle de magnifique chanteuse, sans parler de sa beauté et de sa gentillesse.
Ces qualités n’ont d’ailleurs pas échappé à Olivier Gatto un des maîtres français de la contrebasse qui l’accompagne sur scène et donc dans la vie. Car c’est un maître, un musicien spectaculaire à voir et à entendre, maltraitant ou caressant son instrument et aussi un arrangeur et directeur musical de talent.
Pour compléter ce quintet, trois excellents musiciens bien connus de la scène jazz bordelaise et bien au-delà.
Au clavier un pianiste « amateur » au sens pur du terme, homme de radio(logie), le docteur Francis Fontès ; il nous épate à chaque fois et si dans son cabinet on le scanne je suis sûr qu’à l’intérieur on va y voir Herbie, Chick, Ahmad, Chucho et bien d’autres.
A la trompette un souffleur local, Mickaël Chevalier très présent sur la scène jazz, du big band de Franck Dijeau à des collaborations avec Roger Biwandu ; le pauvre, il a souffert hier soir ce qui expliquait son visage grave et sa raideur, sous le coup d’un mal de dos terrible que les calmants n’ont pas apaisé. Il a pourtant drôlement assuré.
A la batterie le jovial et exubérant Guillermo Roatta qui peut passer instantanément de la douceur de ses balais aux rythmes latinos les plus endiablés ; un régal à voir et écouter.
Le répertoire choisi va s’avérer éclectique, tant mieux, Shekinah a de multiples influences et elle aime en faire profiter son public ; public qui en bonne partie la découvre. « Groove Merchant » de Jerome Richardson ouvre la soirée. La tonalité du concert sera donc jazz. Soprano, trompette, piano, contrebasse prennent leur solo, divergent, convergent, le set démarre fort.
« Little Sunflower » de Freddie Hubbard avec son fond latino va mettre en avant les qualités de flûtiste de Shekinah ; je me demande si ce n’est pas dans ce registre que je la préfère.
Même les novices vont reconnaître « Caravan » qui arrive ensuite. Pas de chien qui aboit et une caravane qui s’étire entre des dunes de trompettes, de sax et de piano ; au gré des impros on croit s’être perdu dans le désert et finalement tout le monde se retrouve à la fin, superbe.
Arrivés à l’oasis petit intermède chanté, « Très palabras » d’Osvaldo Farrès (Quizás, quizás, quizás) et la belle voix de Shekinah.
Et on revient au jazz, du vrai du lourd, du Coltrane : « Transition ». De la douceur de la flûte on est passé à la violence du sax alto. Dans ce registre elle est fabuleuse comment tant de grâce peut-elle produire un tel déchaînement ?
« You’re everything » (tiens on dirait du Chick Corea dis-je à mon voisin. C’est en effet du Corea) conclut – provisoirement – la prestation.
Ovation, rappel, « Quizás, quizás, quizás » est réclamé, Shekinah et Francis Fontès vont l’offrir au public sans aucune préparation et c’est un régal ; c’est ça les vrais musiciens. Et pour finir un meddley cha cha cha autour d’«Oye Como Va» de Tito Puente enflamme le public. Encore une belle soirée me glisse Dom ; et en plus on ne s’en lasse pas.
Une note amusante pour finir, la personne qui a présenté le concert nous a annoncé Shakira avant bien sûr de se reprendre. Une autre fois peut-être mais je crois que nous n’avons pas perdu au change.

 

Philippe Desmond

Le Big Band du CNR rencontre King Crimson. Festival Jallobourde Canéjan le 17/01/15

Ce qui est beau dans un défi c’est quand il parait un peu fou et n’est donc pas gagné d’avance. Ce défi Julien Dubois l’a proposé à ses élèves : monter un projet autour de la musique de King Crimson, avec son Big band de jeunes musiciens du Conservatoire National de Région. Le cadre, le festival Jallobourde ce soir là à Canéjan.
Avant le concert tout le monde est un peu inquiet, les uns ne connaissant pas King Crimson, les autres justement le connaissant. Que vient donc faire un big band dans cette affaire ?
Salle pleine avec bien sûr parents et amis et des amateurs comme l’équipe d’Action Jazz qui dans sa jeunesse a aussi écouté beaucoup de rock – et continue – et notamment ce groupe anglais mythique au répertoire très écrit et tortueux, qualifié de progressif et à juste titre dont le leader  Robert Fripp est un extraterrestre. Certains d’entre nous possèdent encore les albums en vinyl, « In the Court » leur premier disque culte, « Red », même des 45 tours d’époque. Fin des 60’s et début des 70’s pour la période principale et fondatrice du groupe.
Le programme annonce en premier titre « 21st Century Schizoïd Man » ; ça va décoiffer me dit Alain, ça part fort constate Dom ; en big band ? Non, par pour ce titre. Guitare, basse, claviers, batterie, deux sax et un chanteur qui entre, exubérant, provocateur et ça démarre. King Crimson est là, devant nous on se regarde , on n’y croit pas, j’ai des frissons ! Ils le tiennent ce morceau violent, les sax brûlent déjà, la guitare s’enflamme elle aussi. Ouch…
Puis entre la formation complète. Ils sont une trentaine : cuivres, flûtes, violons, guitares, basse, claviers, vibraphone, batterie et percussions et huit choristes dont deux garçons. Je n’en nommerai aucun, hors le Chef, tant le mérite est collectif. Julien Dubois lance son monde pour « Red » et ça marche ! Un son, une ampleur, une profondeur pour ce titre au phrasé répétitif qui monte sans cesse dans la gamme. L’arrangement big band est fantastique, une prouesse (nous apprendrons de sa bouche à la fin du concert qu’aucune partition n’existant Julien Dubois a transcrit tous les morceaux avant de faire l’orchestration !). Les changements de rythmes, les breaks, si imprévisibles et complexes sont parfaitement maîtrisés. On y est, toujours des frissons, on se régale.
Suit « Larks’ Tongues in Aspic, Part One » une composition de musique contemporaine complexe et piégeuse. Ça marche toujours, le big band avec ses violons s’y révèle symphonique.
Morceau phare « The Great Deceiver » nous comble de bonheur, l’orchestre est à fond, les chœurs se régalent puis les chanteuses à tour de rôle et ce refrain tubesque « cigarettes ice cream, figurines of the Virgin Mary » et ça repart à fond. Ouh la la ! Ils enchaînent directement sur « Lament ». Ecoutez les versions originales et essayez d’imaginer la transcription en Big Band…
King Crimson c’est le contraste, la violence mais aussi la douceur. Deux duos chant guitare « Book of saturday » (Marine et Yori)   ainsi que « in the wake of Poseïdon » (Emeline et Johary)Magiques.

Seule reprise de la deuxième époque (1981) le très beau « Frame by frame » Vers la fin « Larks’ Tongues in Aspic, Part Two » qui, par sa majesté, rappelle un peu  Magma ; toujours nickel !
Final avec « In the court of the Crimson King » – où ceux qui ne connaissaient pas le groupe se sont aperçus que si – magnifiquement joué et chanté et qui m’a tiré des larmes de bonheur. Et tout le public qui se fait piéger par la fausse fin alors que les pipeaux et autres flûtiaux n’avaient pas encore apporté leur note décalée et amusante à la solennité du titre !
Fin. Salle debout, ovation, le bonheur sur le visage des musiciens, une certaine satisfaction sur celui du chef si exigeant et justement récompensé.
Rappel, un petit bout de « Lark’s Tongues 2 » et la partie de pipeaux de « In the Court ». Nous voilà royalement cramoisis de bonheur, on en avait tous besoin en ce moment. Défi réussi. La relève est assurée.
Allez les écouter au Rocher le mercredi 11 février à 20h30 (réservation conseillée 05 56 74 8000), ne vous privez pas de ce moment !

Philippe Desmond.

Photo Patrick Lucbert

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Thibault CAUVIN au Château Lafite-Rothschild le 15/01/2015

Écrit par Dom Imonk
Photographies par Swann Vidal

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Le mois de janvier est à peine commencé, la pluie est froide et l’on cherche à se réchauffer par tout moyen. Aussi, pour créer de l’été en plein hiver, les Estivales de Musique en Médoc ont eu la riche idée d’inviter le guitariste Thibault Cauvin, pour un concert unique au prestigieux Château Lafite-Rothschild, à deux pas de Pauillac.
Il faut saluer ces Estivales qui consacrent chaque année leur festival de musique classique à de jeunes et brillants lauréats à des concours internationaux, et notre guitariste en est un très sérieux.
L’été dernier, Thibault Cauvin est venu dans ce beau château, enregistrer son tout nouveau disque, « Le voyage d’Albéniz », hommage au compositeur espagnol, sorti il y a quelques semaines. Et c’est l’immense chai circulaire, dans lequel était donné ce soir son concert, qui fut choisi pour ses grandes qualités acoustiques. L’artiste recherchait un son pur, réel et sans ajout, et cet endroit unique le lui a offert, l’écoute du disque le confirme.
Il faut dire un mot de ces lieux magnifiques. Pour accéder au chai, on parcourt de longs et hauts couloirs, à peine éclairés, qui en rendent l’atmosphère inquiétante. Puis l’on pénètre dans une sorte d’immense soucoupe « intra-terrestre », qui nous enveloppe d’une sombre magie. C’est un très vaste cercle dont l’ampleur nous dépasse. Son énorme voute est soutenue en son milieu par d’imposantes colonnes, semblables à celles d’un temple grec. La petite scène est à l’épicentre, et, face à elle, quelques trois cent chaises accueillent les mélomanes. En périphérie nous entourent en arc de cercle, des centaines de barriques contenant le précieux élixir, éclairées par de petites bougies qui créent la sombre lueur de quelque célébration secrète.
Cette soirée scelle aussi une rencontre rare, entre deux fortes personnalités espagnoles : un chai, dessiné par l’architecte Ricardo Bofill, servant d’écrin à la musique d’Isaac Albéniz, dont certains morceaux seront joués.
Thibault Cauvin est un guitariste d’exception, et sa force réside aussi en une attachante personnalité, chaleureuse, aimable et simple, qui ne laisse rien transparaître de cette virtuosité tant appréciée tout autour de la planète. Son répertoire est le carnet intime et très documenté de ses nombreux voyages, forts de ses mille et un concerts. Celui de ce soir a commencé par deux titres du nouvel album, « Mallorca » et Cadiz » (Isaac Albéniz). D’emblée, la délicate chaleur ibérique qui s’en dégage, nous caresse d’embruns méditerranéens et atlantiques. Il y a quelques années, Thibault Cauvin avait enregistré « Cities », récemment réédité en vinyle, où il rendait hommage à des villes où il se produisit. Par exemple New York qu’il aime tant, se voit dédié un brillant « Take the A train » (Billy Strayhorn), qui montre son respect et sa connaissance du jazz. Même chose pour Rio de Janeiro, où l’on est transporté en l’instant par un « Felicidade » (Antonio Carlos Jobim) de soleil et de fête. L’Orient n’est pas en reste et les galops effrayants des chevaux de Gengis Khan sont judicieusement recréés dans le rythme effréné de « Ulan Bator » (Mathias Duplessy). Puis c’est l’Inde et l’esprit animé et parfumé des rues de Calcutta, qui se trouve magnifiée par un hypnotisant « Raga du soir » (Sébastien Vachez). Le voyage n’est pas terminé, mais l’on passe à une sorte de gravité avec « Koyunbaba » (Carlo Domeniconi), morceau qui s’étire peut-être un peu plus que les autres. Profondeur et spiritualité en émanent. Dédié à la grande et fière Istanbul, c’est aussi à la Turquie que l’on songe en l’écoutant, et à certaines de ses frontières qui souffrent et saignent, depuis si longtemps…
Puis encore un très bel hommage à l’Espagne, avec la remarquable interprétation du « Asturias » d’Isaac Albéniz.
Sans dire que l’on garde le meilleur pour la fin, mais quand même un peu, oserais-je rappeler que Thibault est le fils d’un illustre et renommé guitariste bordelais, Philippe Cauvin, qui a toujours eu bien plus que le regard d’un père pour ses fils. Présence, observation précise et bienveillante, mais aussi vision d’un ailleurs, originalité, et sens de la liberté qu’il leur a transmis. Philippe Cauvin a surement donné de précieux conseils à son fils, au cours de l’enregistrement du « Voyage d’Albéniz ». Lors du concert, Thibault a repris avec étincelle et gourmandise, deux pièces de son père, complexes, inclassables et essentielles de son art : « Guitar City » jouée au début, hommage singulier, percussif et virevoltant à Bordeaux, et, en fin de concert, le multiforme « Rocktypicovin », hymne, voire manifeste, pour un fusionnel libertaire classico-folko-rock, destiné au futur. Thibault a surfé sur elles, comme sur ces aguicheuses et turbulentes vagues tubées de Lacanau dont il raffole.
Une prestation éblouissante à laquelle il fallait assister! D’autant plus que, comme un bonheur n’arrive jamais seul, une dégustation de vin du Château Lafite-Rothschild, dont nous saluons ici l’accueil et la générosité, nous fut offerte à l’issue du concert ! Un millésime 2001, pour clore l’odyssée de l’espace musical de Thibault Cauvin en ce lieu magique.

Écrit par Dom Imonk
Photographies par Swann Vidal

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La Gazette Bleue N°8 vient juste de sortir !

Meilleurs vœux à tous ! Voici la Gazette Bleue N° 8 ! Beaucoup de chroniques de disques (pour les étrennes de vos proches et amis!), des interviews, des articles et l’agenda des concerts.

Bonnes lectures !

La Rédaction

En voici l’accès au format PDF :

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Samy Thiébault Quartet – Chronique de « A Feast Of Friends »

Par Dom Imonk

Parue le 01 janvier 2015 dans la Gazette Bleue N° 8

SAMY THIEBAULT QUARTET A FEAST OF FRIENDS

La Californie est une terre fascinante, mais la faille de San Andreas laisse ses sols en sursis, et fonde un peu l’urgence dans laquelle on y vit. C’est surement pour ça qu’en matière d’art, et de musique en particulier, les idées nouvelles y ont souvent bouillonné. Ainsi, au cœur des sixties, une forte « tectonique des plaques sonores » a commencé à mêler le rock, déjà porteur d’aventure, à des terreaux à forte teneur psychédélique et libertaire. Philosophie et spiritualité trouvèrent place pour amender ces fusions nouvelles, de même que l’esprit d’un jazz novateur, chez certains musiciens.
Beaucoup de grands artistes ont participé à ce séisme, comme Tim Buckley, The Grateful Dead et The Doors. Ces derniers eurent tôt fait de conquérir la planète, menés par Jim Morrison, chanteur poète visionnaire et provocateur allumé. Une comète fulgurante, partie bien trop vite en 1971.
The Doors ont touché plusieurs générations, et sont devenus cultes pour foule de disciples. Samy Thiébault en est un et l’on apprend que ce groupe l’a profondément marqué, à l’époque où il s’éveillait à la littérature, et étudiait philosophie et musique. On évoque aussi la passion du batteur John Densmore pour John Coltrane, ce qui a bien plus tard incité notre saxophoniste, coltranien d’âme, à replonger dans l’univers de son groupe fétiche.
Ainsi, après quatre albums très bien accueillis, dont les ambitieux « Upanishad Experiences » et « Clear Fire », le voici de retour, avec un « A feast of friends », plein à craquer, hommage aux Doors et à Jim Morrison. Ce titre d’album, c’est aussi celui d’un émouvant morceau tiré de « An American Prayer ».
Pari ambitieux pour Samy Thiébault qui a réuni autour de lui un quartet d’amis fidèles, musiciens fort talentueux, et ouverts à de telles expériences. Avec Adrien Chicot (piano, Fender Rhodes, effets sonores), Sylvain Romano (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie), plus Nathan Willcocks, invité à poser sa voix troublante sur quelques interludes, il savait que les idées allaient circuler et scintiller comme des feux follets.
Près de la moitié des titres sont des Doors, mais ce n’est pas un simple « revival ». Dès les premières notes de « Riders on the storm », on est aspiré par un groove qui s’envole, flûte et sax aux commandes, le Fender Rhodes en garde rapprochée et le tandem contrebasse/batterie très affuté, avec la précise souplesse qui drivait les musiques des films et séries californiennes des années 70. Cette pulse élégante, la reconstruction jazz des thèmes des Doors, leur donne une autre vie et les booste, mais en préservant les jaillissements originels de liberté et d’esthétique neuve. Sous des éclairages variant à chaque fois, on retrouvera cet éclat dans les autres reprises, « Light my fire », « People are strange », « The crystal ship » etc… Les morceaux signés par le leader confirment ses talents de compositeur et d’arrangeur. Ils complètent à merveille les reprises, et on repasse en boucle « Telluric Movements », « Blue Words » et « Hara ». Les envolées de Samy Thiébault (sax ténor, flûte, darbouka) sont magnifiques et on les sent murir et aller de plus en plus loin, comme pour atteindre spirituellement l’âme de Jim Morrison. En cette quête, il est soutenu par un groupe en tous points épatant. Une impression africaine est aussi ressentie sur « Invocation » et sur le somptueux « Tribal dance » qui clôt l’album, où le jeu du saxophoniste n’est pas sans rappeler le souffle éthiopique d’un Getatchew Mekurya. Conclusion superbe, un peu comme un cheminement en plein désert, sur les traces de Théodore Monod…

Par Domimonk

http://www.samythiebault.com/

Gaya Music Production/Abeille Musique – STGCD005 815838

Nicolas Folmer – Chronique de « Horny Tonky »

Par Dom Imonk

Parue le 01 janvier 2015 dans la Gazette Bleue N° 8

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Nicolas Folmer n’a pas encore la quarantaine, mais ça fait déjà vingt ans qu’il est sorti du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, diplômé d’un premier prix de trompette. Depuis, nombre d’autres distinctions l’ont honoré, comme en 2005 où il a obtenu un Django d’Or et une Victoire de la Musique. En 1996, il co-fonde « NoJazz », collectif tendance electro-jazz-funk (premier disque en 2002, enregistré à New-York et produit par Teo Macero en personne!). Puis en 2000, le « Paris Jazz Big Band » suivra, ambitieuse formation, forte d’une poignée d’albums reconnus. En 1997, il entre dans l’Orchestre National de Jazz. Il connait aussi plusieurs collaborations avec des huiles aux styles très différents, de Wynton Marsalis à Claude Nougaro en passant par George Russell, Johnny Griffin, et autre Richard Galliano, mais la liste est longue. Ses interventions en tant qu’enseignant et directeur artistique de certains festivals n’ont fait qu’accroître sa renommée. En 2004, premier album sous son nom, « I comme Icare » est récompensé comme il se doit. Cinq albums suivront (dont l’un avec le grand Bob Mintzer en 2010), chacun dans les styles aventureux qu’il aime. En particulier le tout récent « Sphere » (2014), où se joue une musique d’exception, portée par de prestigieux invités, Daniel Humair, Dave Liebman et Michel Portal, et qui reçoit un accueil unanime de la presse. Outre le fait d’être l’un des meilleurs trompettistes actuels, Nicolas Folmer est un fin compositeur, dont l’écriture est respectée.
Si le temps n’a pas d’effet sur Nicolas Folmer, lui a une certaine emprise sur le tempo, et son nouvel album « Horny Tonky » le prouve ardemment. On est loin du « NoJazz » des débuts, et c’est en direction des US que tournent nos têtes. Première moitié des seventies, Miles Davis électro-funkise son jazz en mode Sly Stone. D’autres trompettistes suivent ce mouvement, Eddie Henderson, Donald Byrd, et même Freddie Hubbard et Woody Shaw! La jeune garde n’est pas en reste, notamment les Brecker Brothers et quelques autres.
« Horny Tonky » se situe dans ce genre de fournaise, avec son et groove du 21° siècle. Nicolas Folmer a été piqué par la mouche du jazz-rock-funk. Album dynamite, bourré d’un groove festif, avec même des inserts carrément rock par moment. On ne va pas tout détailler, mais sachez que de « Horny Tonky » à « Psychedelic », en passant par « « Kiss Kiss Bang Bang », « Walk on the bar » et « Read between the lines », vous allez vous prendre de sacrées décharges qui vont faire bouger vos gambettes et vous pousser irrésistiblement sur les dancefloors.
Question groupe, Nicolas Folmer a tapé dans le mille. Lui assure brillamment la trompette, les compositions, les arrangements et le wurtlizer sur deux morceaux. Thomas Coeuriot (guitare) et Laurent Coulondre (claviers) sont indispensables au groove et nous époustouflent, que ce soit en chorus ou en accompagnement. Même chose pour Laurent Vernerey (basse) qui avec ses lignes internes se faufile un peu partout. On l’entend avec les oreilles mais on l’écoute avec le ventre. Quant’ à Damien Schmitt (batterie), on est plus que ravi de le retrouver. Son drive est hallucinant de précision et de puissance. C’est définitivement le Monsieur batterie-jazz-funk du ministère du groove français, rien moins !
Quand vous saurez qu’en plus, les invités sont Rosario Giuliani (sax alto), Stéphane Guillaume (sax alto & ténor), Daniel Zimmerman (trombone), Frédéric Couderc (sax bariton & ténor, flûte basse), Joël Chausse (trompette) et Didier Huot (french horn), alors vous n’hésiterez plus très longtemps, cet « Horny Tonky » est fait pour vous !

Dom Imonk

http://www.nicolasfolmer.com/

Cristal Records – CR 230

RAVEN – Chronique de « Chercheur d’orage »

Par Dom Imonk

Parue le 01 janvier 2015 dans la Gazette Bleue N° 8

RAVEN

Le Corbeau est partout. Il effraie les timides, passionne les scientifiques, et inspire les artistes. Manu Domergue par exemple, chanteur, joueur de cor et mellophoniste. Il y a peu, nous l’avions croisé dans le superbe « The Other Side » du sextet de Loïs Le Van, son compagnon d’études et frère de poésie. En 2012, il décide de rendre hommage à son oiseau fétiche, avec le projet « Raven » (le « grand corbeau » en anglais). C’est un brillant quartet, qui réunit autour de lui Raphaël Illes (saxophones), Damien Varaillon-Laborie (contrebasse) et Nicolas Grupp (batterie/glockenspiel). Récompensé par le 1° prix et le prix du public du Crest Jazz Vocal 2013, le groupe tourne beaucoup, forge son expérience, puis enregistre son premier disque que voilà.
Une pochette d’un vert sombre présente le chanteur, incliné et pensif, face à l’oiseau noir, perché sur sa main gauche. L’intérieur révèle un bec complexe, qui enserre jalousement le disque, comme l’huître sa perle, ou Maître Corbeau son fromage. On aime aussi l’élégant livret qui vous dit (presque) tout.
Manu Domergue a composé une grande partie des morceaux. Ça sonne neuf dès « Glopin’ », où la musique s’envole et nous entraine, libérée de toute influence. La voix haute scatte et fouette les flancs d’un jazz ravi. Mais « Chercheur d’orage », qui le suit, ouvre en grand ce beau royaume, et dévoile un peu plus de ses richesses. Qualité d’écriture, rythme, angle et puissance du chant semblant sans limite, arrangements, son. Les musiciens sont soudés et leur jeu de haute volée, avec cet espace entre eux, permis par la forme du quartet. On retrouvera pareil grain magique sur d’autres compositions, comme « Le stratagème » (belle leçon de scat !), « The winged sailor » en coda et trois géniales « Invocations ». Lors d’une interview, Manu Domergue confie qu’il les a composées en préalable à des morceaux où il a invité trois chanteuses. Ainsi, la mystérieuse « Invocation I » introduit d’un sax enflammé « Ils choisissent la nuit », sur lequel Mônica Passos vient mêler sa généreuse voix à celle de son hôte. Un peu plus loin, « Invocation II », mue par un inquiétant mellophone, annonce le somptueux « Ghorab », habité par Kamilya Jubran et son chant mystérieux, sur un raga cuivré et des bulles de sax. Enfin, la magistrale « Invocation III » voit le chanteur envouté, et poussé au rouge par ses acolytes. Elle accueille une Leïla Martial, très inspirée, sur une reprise de « Black is the color » venue d’ailleurs, où elle glissera d’un chant classique à des « onomatopées » free (façon Sidsel Endresen), avec une aisance sidérante.
Raven a du cœur au ventre et s’offre en sus trois autres reprises « perchées », qu’il s’approprie avec une originalité qui laisse pantois. « Nevermore » (Edgard Allan Poe/Alan Parsons Project), frisson de minuit, contrebasse gambadeuse, voix possédée, glockenspiel et sax rêveur en final époustouflant. Puis le légendaire « Black Crow » de Joni Mitchell (« Hejira »), que Manu Domergue aborde d’un vocal de funambule, sa voix sur un fil, entre le précipice du silence et ces « in a blue sky » qui la rétablissent comme une barre d’équilibre. Autour de lui, des flammes de sax ondoient, la contrebasse pompe du rythme et excite le drive exquis des fûts. Et puis enfin « Les corbeaux » (Arthur Rimbaub/Leo Ferré), pièce austère et lunaire, rythmée par des éclairs de sax free qui zèbrent l’espace, percussions tribales et vocal de prêcheur fou, menant la marche d’un peuple en une fin de prières célestes.
Ce disque est un pur bonheur. Il ne vous laissera pas indemne. Suivons ce courant nouveau. Et ne rendons pas à Maître Corbeau son fromage !

Dom Imonk

http://www.ravenproject.fr/

Gaya Music Production – MDGCD001