Par Dom Imonk
Parue le 01 juillet 2014 dans la Gazette Bleue N° 5
Baptiste Herbin – Photo Alain Pelletier
Cénac est une sympathique petite ville juchée rive droite, non loin de Latresne et Quinsac, avec lesquelles elle forme un triangle vers l’Entre-deux-Mers.
On y aime le jazz et les 06, 07 et 08 juin dernier, c’était la 5° édition de son Festival « Jazz360 ».
Comme chaque année, Richard Raducanu a fait preuve d’un « nez » particulièrement fin pour programmer des musiciens, frais et inventifs, des plus jeunes et avides d’apprendre, aux plus établis mais qui apprennent encore. Cette édition a comblé les habitués, tout en rameutant un public croissant de curieux aux goûts pointus.
Les festivités ont démarré le vendredi en fin d’après-midi avec les ateliers jazz de l’Art de la Fugue mais une rocade capricieuse ne nous a permis d’assister qu’à une partie du concert qui suivait, celui du Big Band de la classe Jazz du collège de Monségur. Fraîcheur et savoir-faire déjà de ces tout jeunes gens, dont on nous a dit qu’ils n’ont que trois années d’études, chapeau bas !
Alors qu’un dîner concert avec Djamano Duo se donnait au restaurant Les Acacias, nous nous sommes dirigés vers le premier concert de la soirée, Asix Quintet. Excellent groupe au jazz élégant et raffiné, où se mêlent avec bonheur standards et compositions. Ce fût un vrai plaisir de retrouver la voix cuivrée de Freddy Buzon ( tp,bu) et le drive puissant de Simon Pourbaix (bat), alors que Thomas Lachaise (sax) et Xavier Duprat (p) nous contaient de belles histoires, s’appuyant sur le groove boisé et volubile de Lazid Ketfi (b).
La partie n’était donc pas gagnée pour le Christophe Laborde quartet qui suivait. Pourtant, les compositions lumineuses du leader, ainsi que son jeu très inspiré au saxophone soprano, ont tôt fait de nous convaincre. D’autant qu’à ses côtés, s’épanouissait avec tact et élégance la sensualité et le romantisme d’un duo italien très complice, formé par le grand Giovanni Mirabassi (p), et Mauro Gargano (b), très fin musicien que nous découvrions. A de tels musiciens, il fallait une forte pulsation rythmique, qui leur fût offerte par la dynamique presque rock d’un Louis Moutin (bat) en fusion. (CD de ce quartet : Wings of Waves – © 2013 – Cristal Records).
Le samedi, vers midi, un apéro concert avec les ateliers jazz du conservatoire de Bordeaux devait permettre d’apprécier la qualité des enseignements apportés à ses jeunes élèves, et leur maturité en devenir. Mention spéciale à toutes ces jeunes pousses, et en particulier au batteur Pierre Lucbert dont il faudra vraiment suivre l’évolution.
C’est sous un soleil de plomb qu’a débuté l’après-midi avec Jazzméléon Trafic, collectif atelier multi jazz, rondement mené par Pascale Martinez à la batterie, qui a agréablement surfé sur des standards (de Stolen Moments de Oliver Nelson à Speak No Evil de Wayne Shorter), et sur deux ambitieuses compositions du guitariste Jordan Cauvin (La dernière Note enchainée à Polivinka). Philippe Cauvin jubilait aux percussions, avec entre autres ses délicieuses clochettes tibétaines. Une solide section de saxes soufflait sa flamme, Thierry Taveaux à l’alto, Rémy Brown au ténor, et en « special guest », le « barbierien » Grat Martinez qui nous a régalés de belles échappées free. Alain Duffort nous a gratifiés de quelques chorus bienvenus de trompette, sous l’œil bienveillant d’un Fred Villega aux lignes de basse imperturbables.
Jazzméléon Trafic – Photo Dom Imonk
Puis le Thomas Mayeras Trio, Thomas Mayeras (p), Germain Cornet (bat) et Julien Daudé (b), vainqueur du tremplin Jazz360 en 2012, a joué le rôle de « brumisateur » jazz, en offrant au public une musique fraîche, moderne et très bien jouée.
Il le fallait car quelques instants plus tard c’est une belle machine jazz groove qui est venue raviver les braises. Le Ebop Quartet ! Quatre garçons dans le vent fort d’une musique évolutive, ayant un pied dans les années 70s et l’autre dans la fureur électronique du 21° siècle. Ebop Quartet, c’est Guillaume Schmidt avec ce phrasé sax déjà magnifique en acoustique, mais donc l’impact se trouve démultiplié par les effets électroniques. Même démarche pour Christophe Maroye, qui nous a encore prouvé que sa guitare évolue sans cesse, avec ces inserts électronisés dont il est lui aussi friand. Coup de cœur pour ce magnifique morceau à l’ambiance éthéré façon ECM, rappelant Terje Rypdal. Enfin, on a succombé à la rythmique imparable formée par la batterie très technique de Didier Ottaviani, associée au deep groove avec slap intérieur dit « en morse » du redoutable Benoît Lugué.
Ebop Quartet – Photo Alain Pelletier
Quelques temps plus tard, l’on pouvait diner aux Acacias, avec la musique à tête chercheuse du Soundscape Trio, lauréat du Tremplin Action Jazz 2014.
Le Sextet d’Anne Quillier, vainqueur du tremplin jazz de la Défense, a débuté la soirée avec beaucoup de grâce. Elle est l’auteure de toutes les compositions jouées, et l’on est impressionné par une telle qualité d’écriture. L’ambiance est celle d’un jazz très moderne, beaucoup d’espace, de changements.
Le groupe est soudé, très réceptif, et les musiciens sont tous très talentueux. Anne Quillier mène bien son monde, elle joue du piano et du Fender Rhodes avec beaucoup d’à-propos et de finesse. Nous avons été épatés, par le jeu d’Aurélien Joly (tp, bu), et avons beaucoup apprécié la qualité de jeu des autres musiciens, Grégory Sallet (saxes), Pierre Horckmans (clarinettes) et Michel Molines (contrebasse). Enfin, on détecte une fibre rock dans le drumming de Guillaume Bertrand, tirant un peu son drive vers celui d’un David King (The Bad Plus), quand il ne « ralentit » pas son tempo à la façon d’un Bill Bruford. (CD de ce sextet : Daybreak – © 2014 – Collectif Pinceoreilles 001/1).
Anne Quillier Sextet – Photo Alain Pelletier
Dans l’après-midi, Jazz360 a organisé une rencontre avec Baptiste Herbin, lequel a d’abord joué quelques morceaux en solo, donnant déjà une idée de sa virtuosité, puis a répondu avec ouverture, précision et gentillesse aux questions de son public.
Le soir, c’est un peu à la lumière de cet échange qu’on a écouté son quartet, une sorte de dream team. Jugez plutôt, Pierre de Bethmann (piano, Fender Rhodes), musicien de grande classe, phrasé magnifique, homme aux multiples sessions. C’est la même chose avec l’excellent Sylvain Romano (contrebasse). Avec qui n’ont-t-ils pas joué ? Et une légende vivante à la batterie, Monsieur André Ceccarelli en personne, qui une fois de plus nous a conquis. Baptiste Herbin a ouvert le concert par une longue introduction, puis ce sont ses compositions qui ont été jouées, dans divers climats, tous très prenants, en particulier le très émouvant Faits d’Hiver, dédié à son père. Son jeu est impressionnant pour un musicien de seulement 26 ans. Il est virtuose certes, mais il n’est jamais ennuyeux ou démonstratif. Densité, richesse et profondeur. Ils reprendront Une Île de Jacques Brel, autre moment d’intense émotion. Baptiste Herbin a le sens du contact et s’adresse avec aisance et simplicité à son public, et on se sent bien à son écoute. Le concert a été une réussite, mais ça on s’en doutait ! (CD de ce quartet : Brother Stoon – © 2012 – Just Looking Productions JLP01).
André Ceccarelli – Photo Alain Pelletier
Nous n’avons pas pu être présents le Dimanche, mais nous savons que le temps était au beau fixe pour un programme qui a commencé par une randonnée matinale de Cénac à Quinsac.
Il s’est poursuivi au Château Lestange, par un concert en fin de matinée d’Akoda Quintet, vainqueur du Tremplin Action Jazz 2014.
Le déjeuner s’est déroulé dans le même château, au rythme jazz-funk de Mil&Zim.
Enfin, c’est le Cadijo Vagabond Blues Project qui a conclu cette journée en gare de Latresne.
Encore un grand merci à toute l’équipe de Jazz360, et en particulier à Richard Raducanu, pour son amabilité et la qualité de son accueil.
Merci aussi à tous les partenaires de ce festival que l’on peut retrouver sur le site http://festivaljazz360.fr/
Et vivement la 6° édition de Jazz360 qui, à ce qu’on sait, devrait se dérouler quasiment aux mêmes dates en 2015.
Par Dom Imonk