Chroniques Marciennes * (#4)

par Annie Robert

4-  Du charme discret à  l’explosion solaire                   Jazz In Marciac
30/07/2015

Soirée très contrastée hier soir… aussi bien dans le lieu, dans l’énergie que dans le style.
À la salle de la Strada d’abord, le quartet d’Eric Barret et Simon Goubert . Les deux complices qui travaillent ensemble depuis des années proposent une ligne mélodique volontairement  assez fuyante, assez peu marquée sur un tempo véloce et rapide. Les morceaux ont de jolies entrées mélodiques lorsque le piano  de Sophia Domancich entre en lice  (très jolie main gauche !) et un moment  peu commun  de contrebasse à l‘archet lorsque Jean Philippe Viret prend un solo. Le sax d’Eric Barret fonctionne souvent dans l’aigu, avec un son assez particulier qui passe de l’acidité à la rigueur et  partage le devant de la scène avec la batterie très présente de Simon Goubert.
En seconde partie, voici l’élégance discrète de Virginie Teychené. Privée  de chapiteau l’an dernier par un orage dantesque, elle revient avec ses musiciens dans une configuration intimiste, toute en nuance, appuyée par le piano coloré de Stéphane Bernard et la batterie délicate de Jean Pierre Arnaud .
Virginie Teychené  n’a pas l’attitude d’une star du chant, elle est simple, accessible, possède une voix souple, avec de beaux graves, un phrasé délicat et un sens généreux du scat. Son répertoire va d’Abbey Lincoln, à Nougaro, des grands standards brésiliens aux compositions de Gérard Maurin son contrebassiste. Elle égrène une petite musique qui tranquillement petit à petit  conquiert le cœur, par sa douceur et sa générosité.
Direction ensuite le grand chapiteau. Depuis deux heures déjà, Laurent Coulondre   ( Rémi Bouyssière à la contrebasse et Martin Wangermée à la batterie)  et le Shai Maestro trio  ( avec Avishai Cohen en invité à la trompette, excusez du peu ) enflamment à tour de rôle le chapiteau. Ce fut paraît-il de grands, grands moments… que je n’ai hélas pas pu partager.

Heureusement, il me reste in extremis, la troisième partie à savourer. Voici donc  la réunion aussi improbable que réussie de trois musiciens, à priori éloignés les uns des autres par leurs cultures et leur musique : l’italien Paolo Fresu tantôt au cornet, tantôt à la trompette, le cubain Omar Sosa  au piano  et l’indien Trilok Gurtu aux percussions. De la world musique  plein pot  au sens premier du terme!!
Un mélange détonant, réjouissant, puissant et  plein. Un fantastique voyage !!
Trois gamins facétieux, trois regards dans l’échange, trois folies, trois explosions colorées. Quel bonheur que de voir ces trois-là à l’œuvre, une inventivité  sans cesse renouvelée, les sons de trompette claires et fortes se mêlent aux frappés si caractéristiques des tablas et à un  piano aux multiples colorations  ( c’est du chopin ? de la salsa, du reggae ? ). Jamais seuls et toujours ensemble.
Les percussions de Trilok Gurtu sont surprenantes : de la batterie classique, des tablas, des gongs immergés dans l’eau, de la frappe sur bois, des clochettes et les bâtons.  Il peut tout faire et pas juste pour montrer qu’il sait tout faire… c’est toujours  au bon moment, juste ce qu’il faut, quand il faut.
Et que dire de ce moment exceptionnel où le cubain et l’indien au delà des mers, de l’apprentissage, de la culture se retrouvent pour un scat forcené, « tah, tike tah tah » qui résonne encore et encore, duel d’amis, colère jouée et rythmes fous, défis chantés, percussions corporelles.. Et retour au thème avec une trompette électrique. Du grand art, du plaisir  et de la finesse. Impossible de décrire dans le détail tous les changements de rythme, les clins d’œil, les apartés, les rires musicaux tellement ils ont été nombreux, variés et denses. On ne sait pas où donner de l’oreille, on a envie de jeter « des oh et des ah » à chaque détour de phrase comme des mômes devant un feu d’artifice !!
A 2 heures du matin, c’est le temps de se quitter…la fatigue gagne les yeux , on n’en peut plus de sensations, d’émotions et de sommeil mêlés mais les cœurs sont réjouis, la nuit s’ annonçe belle, bercée de la pluie orageuse de la  journée et du souvenir inoubliable d’une musique constamment partagée.

A demain, bonne nuit et beaux rêves…

*    Eh bé non, il n’y a  toujours pas de faute d’orthographe, je vous jure …

Chroniques Marciennes ,* (#3)

par Annie Robert, photo : Dom Imonk

2- Joshua Redman and the Bad Plus :  le talent à l’état plus, plus….

Ce soir au chapiteau de Marciac deux grands saxophonistes, deux grands noms du jazz, d’âge différent et avec des approches différentes.
Je vous parlerai peu de Kenny Garrett qui assurait la première partie avec son quintet. Je n’ai entendu de loin que les clameurs de la salle pour un final apparemment de feu qui a fait chanter le chapiteau  alors que je débarrassais en bonne bénévole les plateaux d’ un des restaurant de JIM.
Mais pas question pour moi, une fois le service terminé de rater Joshua Redman en seconde partie, jamais entendu en live.
Vite, se faufiler sous le chapiteau, vite trouver une place inoccupée et déguster. Vite, vite…
Et je ne l’ai pas regretté. Bon sang, quelle claque ! Quel moment !
Voilà des musiciens qui ne se moquent pas du monde.
Pourtant pas d’effet superflu, pas d’esbroufe. Le groupe est sobre; souriant et sympa mais sobre; à la fois dans sa présentation  (en français je vous prie ), dans sa disposition et dans sa musique. Ils ne cherchent pas à plaire à tout prix, ils ne sont pas là pour faire le show, mais ils tracent leur route musicale en tendant la main respectueusement au public, sans aucune suffisance. Et c’est une route qui incite à les suivre, la mélodie est toujours présente, l’harmonie également même si elles se retrouvent déformées, transformées, malmenées durement à certains moments. Cette permanence de la mélodie permet de ne pas décrocher, de les accompagner, de se faire surprendre et émouvoir. Autant il faut faire preuve d’une détermination intellectuelle sans faille et d’une écoute forcenée  pour suivre le Wayne Shorter d’aujourd’hui par exemple, autant cela paraît simple de suivre Joshua Redman et ses Bad Plus. Mais simple cette musique ne l’est pourtant pas car plusieurs aspects caractérisent ce quartet et le rendent reconnaissable parmi d’autres.
D’abord, une approche symphonique des morceaux. Pas dans le sens grandiloquent, violons charmeurs et clarinettes chantantes, non dans le sens de la construction des morceaux. Intros, développements, contrepoints se tricotent sans cesse. Des thèmes repris, transformés, qui passent d’un instrument à l’autre, avec un travail remarquable de précision de chaque musicien et tout l’espace possible alors dans cette rigueur quasi-janséniste pour l’impro. C’est une espèce de kaléidoscope, une girandole à quatre voix qui donne le tournis mais ne nous éjecte pas de sa trajectoire, jamais. Iconoclaste forcené, le groupe ne nous ménage pas, mais ne nous abandonne pas non plus. Ballades qui se transforment en acmé totale, et groove terrifiant qui finit dans la plus pure douceur  nous surprennent sans cesse. Quel travail, quel talent pour en arriver là.

La seconde caractéristique c’est qu’ils forment un groupe, un vrai groupe. Pas une simple juxtaposition de musiciens talentueux. Joshua Redman, bien que son saxophone le prédispose à « passer devant »  sait se mettre en retrait, s’effacer, se contenter de garder le tempo, ou la ligne de basse quand le piano délicat aux accents d’Erik Satie d’Ethan Iverson, la contrebasse mélodieuse et inventive de Reid Anderson, la batterie frappadingue et soyeuse de David King prennent leur place. Moments de duos, de trios parfois. D’ailleurs chacun des musiciens compose et les morceaux joués appartenaient aux uns et aux autres.
Et puis il y a le son de Joshua Redman, un son droit, pur, très puissant mais incroyablement caressant. Comment avec un bec métallique (c’est ce qu’il utilise) arrive t- il même dans les moments les plus barrés, les plus extrêmes, les plus limites à garder cette rondeur, cette sensualité ? Délicieux mystère …
Une heure et demi et deux rappels plus tard, le chapiteau a baissé ses lumières mais nous, nous sommes sortis illuminés de l’intérieur, à l’image du sourire rayonnant qui tout à coup transforme le visage plutôt grave de Joshua Redman.
Ils ont  commencé en costume cravate, propres sur eux, pour finir avec la chemise légèrement sortie du pantalon preuve que dans leur sobriété  presque british, ils avaient donné le meilleur d’eux mêmes.
Chapeau messieurs.

*    Eh bé non, il n’y a  toujours pas de faute d’orthographe, je vous jure …

Une soirée féerique : Dave Holland quartet

Par Philippe Desmond

Jazz and Wine c’est toujours le gage d’une soirée de qualité, les lieux et musiciens choisis par Jean Jacques Quesada – un grand merci – étant souvent exceptionnels. Hier soir les deux étaient tout simplement ( !) extraordinaires.

Le château la Rivière de Fronsac semble tout droit sorti d’un conte de fées. Sur la route étroite qui y mène, surtout quand la nuit approche, vous vous attendez à voir surgir quelque monstre ou une meute de loups, tant la voûte végétale est serrée et cache la lumière. Et comme dans un livre d’enfant, tout à coup, surgit le château, blanc, lumineux, magnifique. Conte de fées oui, avec les bonnes et les mauvaises fées, le sort des trois récents propriétaires ayant été dramatique. Ce soir ce sont les bonnes qui veillent sur nous bien qu’une ait réussi à retarder d’une petite demi-heure le début du concert en perçant un nuage juste au-dessus de nous.

Au programme le légendaire contrebassiste Dave Holland en quartet – certains mauvais esprits diront « pas étonnant qu’il ait plu avec un Holland dans les parages… » – avec Chris Potter aux sax ténor et soprano, Lionel Loueke à la guitare et Eric Hartland à la batterie. La scène est installée dans la cour du château avec point de vue imprenable sur le lit naturel de la Dordogne ; ça devrait être bien. Ça va être même bien mieux que ça.

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Le leader on le connaît, un Maître qui a joué avec les plus grands et qui depuis 50 ans poursuit une carrière solo impressionnante sans arrêt renouvelée et donc toujours moderne. L’homme est exigeant et s’entoure donc de musiciens hors pair, à commencer par Chris Potter, pas forcément très connu – sauf des spécialistes, mais eux connaissent tout le monde – mais souffleur remarquable d’inventivité et d’aisance. A la batterie Eric Hartland, batteur de seulement 36 ans mais qui a déjà joué avec tout le monde, rien d’étonnant il est stratosphérique ! A la guitare et aux effets le Béninois Lionel Loueke, qualifié de « peintre musical » par Herbie Hancock. Et c’est le cas, on est très loin du guitar hero mais sa participation au quartet donne une couleur incomparable à l’ensemble ; on pense aux différents guitaristes qui ont joué avec Miles dans les 70’s.

Le concert qui commence calmement va être une longue suite ininterrompue de plus d’une heure trente, assise sur une rythmique de contrebasse – en mini-jupe, voir photo – aux lignes d’une richesse et d’une musicalité inouïes avec aux commandes un Dave Holland flegmatique – son sang anglais -sourire permanent aux lèvres. Rythmique au combien soutenue par un drumming extraordinaire, une pulsation, régulière, précise et d’une inventivité permanente.  Les interventions de Chris Potter au ténor ou au soprano vont, à nous et pas à lui heureusement, régulièrement nous couper le souffle ; mais qu’est-ce qu’il est bon, et facile en plus ! Toutes les nuances vont y passer des murmures aux explosions, une démonstration sans démonstration. Le tout donc avec cette couleur donnée par les effets de Lionel Loueke qui avec sa guitare vous plante des ambiances sonores parfois insolites, toujours superbes. Le concert va se clore par un calypso qui va tirer des grondements de plaisir d’une audience étourdie par tant de beauté.

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Ce concert extraordinaire m’a donné l’impression de me tenir près d’un volcan qui bouillonne sans exploser, une gigantesque énergie présente mais maîtrisée, quelques coulées de lave qui s’échappent de temps en temps. Du jazz en fusion, loin du jazz infusion que nous subissons parfois ; non je ne donnerai pas de nom.

Un rappel introduit par un chant béninois de Lionel Loueke et le public va pouvoir se remettre de ses émotions avec une dégustation du cru local, millésime 2008, appellation Fronsac. Là aussi magnifique, l’occasion de quelques échanges avec de nombreux musiciens locaux présents, qui eux aussi affichent une joie certaine d’avoir assisté à cette soirée.

Il est plus de minuit, heureusement les voitures ne se sont pas transformées en citrouilles et nous permettent de revenir au monde réel après cette plongée dans un univers féerique.

Chroniques Marciennes *, ** (# 2)

par Annie Robert

Marciac

Marciac

2- Homo Bénévolus Marciacus

Quel est donc cet être hybride, au mollet alerte, au tee-shirt immaculé, au sourire  perpétuel dès le matin ; au visage las et aux jambes lourdes lorsque arrive le soir  mais qui renaît de ses cendres fatiguées dès le lendemain ?
Quel est donc cet animal bizarre, qui perd son temps, donne de son temps, accueille, transporte, coupe le jambon, manipule des palettes et des plateaux, oriente le festivalier perdu, nettoie les toilettes, ramasse les canettes, contrôle les billets ; j’en passe et des meilleures…..
Quel est donc cet individu, mâle ou femelle, enthousiaste qui encourage les artistes, apporte les serviettes et les bouteilles d’eau, encadre les journalistes, répond aux très nombreuses sollicitations, essuie les critiques et les râleries, et se sent porté et heureux par le même désir de bien faire ?
Un fou, un dément, une plaie, une anomalie, une erreur de la nature, une exception ?
Ben non, … un simple et multiple bénévole … le chaînon indispensable  à tous les festivals, celui sans lequel rien ne se ferait, sans lequel rien n’existerait sans doute, ni culture, ni musique, ni échanges, de la fête de village au festival   gigantesque.
À Marciac, presque 800 bénévoles se relaient sur la durée du festival, il y en  a 600 en permanence et à tous les postes.
Des jeunes, des moins jeunes, des riches, des fauchés, des roots, des bourgeois, ceux qui connaissent les rouages par cœur, qui sont là depuis les modestes débuts, ceux qui commencent et découvrent; ceux qui sont là pour le fun, la fête et les retrouvailles entre copains, ceux qui ont le sens du partage et du don de soi, ceux qui viennent pour la musique, pour le jazz, ceux qui sont tout cela à la fois.
Une troupe variée, colorée mais portée par la même envie d’aider, soucieuse de donner une belle image de la musique et de la vie…
Car vivants, plus que vivants, ils le sont tous…. Généreux et sûrement pour certains incompréhensibles. Dans une société de l’argent roi, où tout se monnaye, qu’est-ce que c’est que ces olibrius qui bossent pour des presque clopinettes, pour pas ou peu de reconnaissances et qui en plus reviennent l’année suivante et sont contents d’être là ?
Ce soir au chapiteau place à la musique pour cette première soirée : The Bad Plus et le fantastique Joshua Redman et juste avant : Kenny Garrett … du bonheur pour les oreilles. Il y aura eu des bénévoles pour les accueillir, les transporter, les sonoriser, contrôler les billets et nourrir tous ces ventres affamés.

Merci à tous ces Homo Bénévolus  ( Marciacus ou autres)
J’en fais partie cette année et j’ en suis super fière…..

( A la prochaine, il y aura de la musique cette fois… !! )

*    non, il n’y a pas de faute d’orthographe…
**  pardon à Ray Bradbury  de subir mes jeux de mots laids…( quand on n’a plus Ray Charles, on a Ray Bradbury !!)

Chroniques Marciennes *, ** (#1)

par Annie Robert

Jim

Jim

1- Ca se mijote….

Jour J moins 1 pour le festival Jazz in Marciac (JIM pour les intimes). L’un des plus gros festivals de Jazz d’Europe se met en place pour 21 jours de musique non-stop.
On finit les derniers réglages, on tend les velums sur la place, on installe les chaises et les stands. Les bannières sont déjà déployées, les réservations fonctionnent à plein régime, le bureau du festival est bruissant de coups de fils et de demandes. Les bénévoles vont arriver au fur et à mesure. Mais lundi matin au démarrage des premières notes et même avant, chacun sera à son poste prêt à accueillir les 6000 festivaliers qui vont venir chaque jour se délecter de musique.

Drôle de mélange que ce festival, drôle d’aventure…. Le Gers département tranquille et rural, Marciac petite bourgade de 1600 âmes se retrouvent au centre  d’un énorme dispositif et accueillent les plus grands noms d’un style de musique bien éloigné à priori de sa géographie et de sa culture …
Et  figurez-vous que ça marche…depuis 38 ans déjà… !!
Jazz et foie gras, Jazz et Armagnac, Jazz et douceur de vivre…. Finalement voilà une recette parfaite, un mélange réussi.
Car ce qui caractérise justement  JIM, c’est ce sentiment profond de douceur de vivre, d’être en quelque sorte « à la maison » que l’on en soit à son premier festival ou un habitué de longue date.

La bastide, vieille dame de 900 ans offre sa grande place centrale (la plus grande des bastides de Sud-Ouest), ses arches fraîches, ses rues à angle droits, son église décentrée (comme dans toutes les bastides), son petit lac, ses allées de platanes, ses bistrots et restaurants animés aux pas des festivaliers. On a à la fois de l’espace sans se sentir perdus. Très vite, tout semble familier.
Aujourd’hui le décor achève de se poser tranquillement : un festival d’été calme et serein, accueillant et décontracté, chaleureux et organisé est prêt à se lancer dans cette nouvelle édition, pleine de retrouvailles et de surprises.
Demain, ce sera au tour des musiciens de faire résonner les notes bleues, de titiller les oreilles, de réjouir les papilles auditives.
Et ça c’est une autre histoire dont on reparlera sous peu….  Ça va jazzer !!!

*    non, il n’y a pas de faute d’orthographe…
**  pardon à Ray Bradbury  de subir mes jeux de mots laids… (quand on n’a plus Ray Charles, on a Ray Bradbury !!)

Aux marches du palais

texte de Philippe Desmond, photos de Thierry Dubuc

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Nous voilà au Palais Rohan construit au XVIIIème siècle pour l’Archevêque de Bordeaux et, depuis presque deux cents ans, siège de l’Hôtel de Ville. La dernière fois que j’ai traversé cette cour c’était pour déclarer la naissance d’une de mes filles, ça fera bientôt 29 ans … Ce soir le lieu a un autre visage, avec une jolie scène plantée au milieu et des chaises pour le public. Une demi-heure avant le début du concert de jazz, objet de la chronique, les places sont déjà chères. Le public déjà installé bien à l’avance, vu la moyenne d’âge et le style, semble sorti directement de la messe à la cathédrale voisine… Non je plaisante.

Insolite dans ce lieu, un combi VW régénéré en food truck est garé à l’intérieur et distille ses parfums de grillades et fumets de bacon.

C’est le quatrième et dernier concert de l’été – des jeudis de juillet – deux soirées de musique classique et une de pop ayant déjà eu lieu. Au programme Flora Estel et Hot Pepino sextet puis Taldea.

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Du swing, du blues, du boogie-woogie et des standards pour commencer avec la pimpante Flora Estel qui va se faire un malin plaisir de chauffer une assistance timide. Au fil de titres de Louis Armstrong à Nat King Cole, de « Fever » – dans une interprétation originale magnifique – à «Cheek to Cheek » le public va se détendre et participer jusqu’à l’explosion finale de « Just a Gigolo ».

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Le pari de Hot Pepino de faire lever le tout public de l’Hôtel de Ville bordelais est gagné ! Belle présence vocale et scénique d’une Flora rayonnante, ainsi que de Hot Pepino dans leurs duos de scat notamment et belle qualité des autres musiciens, Thierry Oudin à la batterie, Aurélien Gody à la contrebasse ainsi que Laurent Lenain et Thomas Lachaize aux sax. Idéal pour la majorité de néophytes composant le public ; et oui il y’en a tant encore !

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Arrive ensuite dans un jazz d’un tout autre genre le groupe Taldea. On y retrouve Thomas Lachaize au sax soprano cette fois ; Thomas en plus d’être un musicien très éclectique, du classique à la pop en passant par le jazz, participe aussi depuis l’an dernier à la programmation jazz de ces jeudis ; avec lui le guitariste Jean Lassallette, le bassiste Nicolas Mirande, le pianiste Stéphane Mazurier et le batteur Christophe Léon Schelstraete.

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On change donc radicalement de style avec une ambiance musicale fortement colorée d’Espagne, la guitare flamenca de Jean y participant pour beaucoup ainsi que le cajon de Léon. Sympathique de retrouver celui-ci comme batteur dans un répertoire jazz, habitué que nous étions de l’entendre jouer de la pop et du rock.

 

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Très belles compositions, très écrites, mettant en avant le soprano de Thomas – qui nous épate à chaque fois – et la guitare acoustique de Jean autour d’une rythmique subtile (batterie/cajon) mais solide (basse) ; utilisation très riche par Stéphane de ses claviers, du piano « acoustique » à l’électrique en passant par de l’orgue.

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Des morceaux très subtils, faits d’atmosphères andalouses, cool et parfois groovy au fil de montées superbes ; du jazz du Sud (Le récent CD du groupe sera chroniqué dans la prochaine Gazette Bleue). Le public un peu désarçonné par le court prélude électro du concert est resté et il est conquis ; il a découvert autre chose.

Belle réussite avec plus de mille personnes présentes, des Bordelais, des touristes, des amateurs, des néophytes, des jeunes des vieux, tout ce que permet ce type de manifestation populaire mais de grande qualité. Merci à la Mairie de Bordeaux et à l’année prochaine donc !

L’intelligence sensible

Par Annie Robert, photos : Stéphane Boyancier

Pierre de Bethmann

Pierre de Bethmann


Pierre de Bethmann trio                 Caillou du Jardin Botanique
Bordeaux Festival de l ‘été            
22/ 07 /2015

Il y a des gens qui sont parfois difficiles à aimer… trop sombres, trop égocentrés ou trop extravagants…pour lesquels l’ effort est nécessaire pour entrer en contact et tenter la découverte. Souvent on en est récompensé, quelques fois on renonce et on se dit dommage.
Et puis il y a ceux avec lesquels le lien est immédiat, la bienveillance au rendez-vous. On leur signe directement un blanc-seing, on leur fait confiance tout de suite. Pierre de Bethmann appartient à cette dernière catégorie, mais il n’en abuse pas. Avec son allure de poussin trop tôt sorti du nid, son sourire sincère et son contact facile, l’empathie est évidente.
Comme est évidente sa musique.
Attention cela ne veut pas dire que sa musique est simpliste, pas du tout. C’est un pianiste qui au contraire bonifie son public, le rend plus ouvert, plus sensible. On se sent meilleur à la fin du concert, on a les oreilles plus affûtées. Ses improvisations présentent une vraie complexité, avec une rythmique inhabituelle, mais toujours une grande délicatesse et une fluidité qui fait que le groupe sonne bien.
Entre moments impressionnistes et swing chaleureux, il nous entraîne au gré de son inspiration du moment dans un répertoire de standards ou de chansons, « des feuilles mortes » à Thélonious Monk.
Ses deux acolytes de luxe ( Sylvain Romano à la contrebasse, et Tony Rabeson à la batterie) sont attentifs, à la fois à son service mais également libres et à l’affût.
Et puis sa musique questionne, intrigue et n’est jamais attendue. Elle se faufile et se glisse…
Quel est donc ce morceau si délicat , qui commence en quelques notes claires et mélancoliques ? La Sicilienne de Gabriel Fauré dont Pierre de Bethmann  va faire une interprétation ravissante et personnelle et où se devine sa formation classique.
Quel est donc ce thème perdu, qui se faufile, disparaît, et renaît un peu plus tard en douce pour s’épanouir enfin ?  Le magnifique  « Indifférence » de Tony Murena repris par Piazzola et Minvielle.
Chaque note est belle, à sa place, pas inutile.
Pierre de Bethmann, on le savait déjà, est un pianiste talentueux, recherché comme sideman, mais avec ce trio il propose une empreinte personnelle et fine. Pas d’esbroufe, pas d’intellectualisme à tout crin et pas de démagogie non plus dans ce beau moment qui a pris hier soir le public par la main, pour le conduire plus loin.

Pierre de Bethmann

Pierre de Bethmann

Une petite suggestion aux organisateurs du Caillou…. Mettre les convives un peu plus éloignés de la scène (et donc plus près pour le service !) pour que les simples amateurs de musique soient un peu moins parasités par les fourchettes et les conversations…..

 

Dégustation de jazz

Par Philippe Desmond

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Le Saint-Émilion Jazz Festival est un très bel événement, il se déroule dans un cadre et des endroits merveilleux, le breuvage y est légendaire et les artistes présents toujours de grande qualité. C’est un festival de très haute tenue. Tout y est soigné, la communication, la signalisation, les uniformes des bénévoles avec une charte graphique bien voyante mais très élégante. Quelques témoignages – et leurs sourires – de bénévoles confirment la qualité et le bon esprit de l’organisation. Ces bénévoles nombreux et efficace sans qui rien ne se passerait.

A la lecture de la liste des partenaires, amis et mécènes on a vite fait de comprendre qu’ici on ne fait pas les choses à moitié. Ces personnes on se doit donc de les gâter, de les remercier, de les associer ce qui nous amène à l’objet de cette chronique, la Dégustation musicale.

Celle du samedi s’intitulait « Si votre vin était une musique… Racontez-nous. ». Ainsi, le Conseil des Vins de Saint-Émilion accueillait partenaires et public – payant – dans la belle salle des Dominicains autour du piano – un Steinway and Sons, long comme une Jaguar type E – d’Eric Legnini le pianiste de jazz belge. Le principe, une dégustation de huit grands crus classés accompagnée des commentaires d’un œnologue, chaque propriétaire venant présenter son vin en y associant une musique interprétée par Eric Legnini.

Tables rondes dressées, huit verres par personnes, une assiette de fromage et le concert peut commencer. Concert ? Pas vraiment.

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Le jazz est quand même mis à l’honneur dès le début avec l’intronisation par la Jurade de China Moses, Eric Légnini et Stéphane Belmondo qui la veille a ouvert de sa trompette le festival du haut de la Tour du Roy. Moment solennel, rite immuable, on est à Saint-Émilion, terre de tradition et c’est très bien ainsi.

Et donc vont se succéder, présentations, dégustations et illustrations musicales de vins magnifiques. Un piano seul aussi beau soit-il dans une salle immense, on est plus près du piano bar (à vins) que du récital et la musique reste ici relativement en retrait. Au répertoire, Etta James, Nina Simone, Duke et son « in a sentimental mood », la BO de Whiplash… Eric Légnini remarquable pianiste s’est vu rejoindre deux fois par Stéphane Belmondo, les deux nouveaux membres de la Jurade arborant leur écharpe d’impétrant. De jolis moments intimistes.

Au fil de l’après-midi, des conversations qui deviennent de plus en plus enjouées, un niveau sonore qui monte, comme la chaleur de la salle, mais heureusement des vins servis à la température idéale.

Evénement mondain plus que musical, passage obligé pour le rayonnement du festival qui lui se déroule vraiment pour les amateurs dans le parc Guadet voisin, dans une ambiance et une douceur incomparables, mais on en reparlera.

Le délicieux fracas de la Caraïbe…

Festival des Hauts de Garonne / Cenon Parc Palmer

Par Annie Robert, photos Alain Pelletier

Les organisateurs du festival des Hauts de Garonne ont le souci de leurs spectateurs, souci du voyage et du dépaysement pour des citadins enfermés dans leur ville par des temps de vacances, souci de la qualité par la présence de groupes d’un immense talent. Merci à eux, merci à eux.
Car, hier soir au parc Palmer, c’est la Caraïbe qui était à l’honneur avec deux groupes époustouflants. Avec le fronton du château pour décor et les grands platanes pour abri, ballottés par un vent un peu capricieux et des nuages défilants, on n’en a tout de même pas raté une miette.

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Une heure et quart avec le saxophoniste Miguel Zenon, et son quartet, c’était presque trop peu pour se rassasier de cette musique vivante et allègre. Oscillant entre la chaleur de son Porto Rico natal, sa douceur et ses vaguelettes tièdes et les embruns gris de New York sa ville d’adoption, il nous entraîne dans une musique complexe, rythme caraïbe et technique new-yorkaise mêlées. Une même phrase, un même thème semblent développés, dans une polyrythmie permanente, avec des contre-pieds, des pieds de nez et des surprises étonnantes. C’est dynamique, les notes groovantes se fracassent en gerbes, se déploient, vont et virevoltent. C’est sophistiqué, mais ça parle.
Autour de son saxophone alto à la technicité irréprochable, trois sidemen (oh le bel échange comme des gouttes de pluie entre le pianiste et le batteur !!) Luis Perdomo au piano léger et puissant, Hans Glawischnig à la contrebasse (un solo magnifique) et Henry Cole à la batterie. Ces trois-là ne sont pas en reste question couleurs, recherches et fulgurances.
De Miguel Zenon je ne savais rien ou presque, j’ai découvert un grand saxophoniste, une musique compliquée certes, mais pas ostentatoire ni rebutante, qui se moque de la mode et qui trace sa route, jazzy en diable hors des sentiers battus. Comme disent les jeunes «  je kiffe grave !!”

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Un changement de plateau plus tard et c’est le quartet de Sonny Troupé qui se met en place.
Pour une fois le leader, c’est le batteur, un batteur reconnu, ayant travaillé avec les plus grands. Son complice Grégory Privat au piano n’est pas loin et ces deux-là, ça se sent, se connaissent musicalement depuis longtemps. Ils partagent les mêmes racines musicales, la même formation, le même amour du jazz et des musiques antillaises.
Pour ceux qui s’espéraient un moment de béguine et de zouk, déception… cela va bien au-delà, des pointes d’électro, des sons de nature, des mots chuchotés ou entonnés… Des voyages et des rêves, le titre de l’album de Sonny Troupé porte bien son nom. Mais dans le fond de sa musique, le fond profond, celui qui entraîne tout, on trouve le rythme, celui de sa batterie, celui des tambours Ka (Arnaud Dolmen), celui de la basse (Mike Armoogum), celui des petits marteaux du piano. C’est un rythme tellurique et fort, et pourtant mélodique et dansant. On se laisse envoûter et prendre par ce “solo à deux” autour des seuls tambours Ka, du jeu des phalanges claquant sur la peau tendue de la percu, dix minutes intenses, épuisantes, bluffantes.
Du jazz ethnique direz-vous… du jazz oui, métissé aussi, mais surtout très personnel, un sillon creusé profond et original.

C’est d’ailleurs le point commun aux deux groupes entendus ce soir, la recherche d’une trace originale et personnelle.
Beau travail, belle musique, belle programmation. Bref belle soirée…

Un petit clin d’œil satisfait au technicien-lumière qui sait si bien faire vibrer les murs, les arbres et les ombres.

Jazz Ô Lac

Par Philippe Desmond, photos Alain Pelletier

Dès l’arrivée à Jazz Ô Lac la première impression, c’est la beauté du site. La scène est adossée au lac de Lacanau juste à côté du petit port de plaisance. Pour l’atteindre il faut prendre une allée de stands, de restauration bien sûr et aussi beaucoup d’autres occupés par des artistes, peintres, sculpteurs, bijoutiers… Il y a même un rassemblement de voitures de collection, bref, l’endroit est accueillant et ça compte dans un festival même si l’entrée y est – c’est remarquable – gratuite.

Deux groupes sont programmés ce soir : Clara Cahen trio et les Jazz Paddlers.

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Clara Cahen est une découverte de l’organisateur que tout le monde ici appelle Phi-Phi. C’est lui le chef d’un orchestre de bénévoles bien sympathiques grâce à qui cet événement est possible ; ça aussi ça compte. Phi-Phi me livre sa légère inquiétude au sujet du pari qu’il a fait de choisir cette chanteuse grenobloise quasi inconnue. Elle est accompagnée du guitariste Lucas Territo et du contrebassiste Michel Molines qui vont se révéler de remarquables musiciens, le premier très inventif et prolixe sur sa guitare acoustique, le second expressif et musical tout en assurant une rythmique carrée. Elle, après un début hésitant, cachée par son chapeau et ses lunettes noires nous offre une voie haute très claire, s’exprimant sans forcer avec une aisance certaine, « elle me rappelle Ricky Lee Jones » me souffle ma voisine. Des créations, des reprises bien interprétées au sens réel du terme : « Love for sale », « Crazy », « Ces petits riens » puis une improvisation autour de « Hit the Road Jack » où Clara s’avère une très bonne scateuse  et le set va passer très agréablement. Derrière le lac vit encore, deux canadairs dans un ballet très précis viennent remplir leurs réservoirs, quelques bateaux rentrent, le ciel rougeoit,  puis jaunit à mesure que le soleil s’enfonce dans les pins. Le set s’achève, Phi-Phi a le sourire, le succès a été là.

Les stands de nourritures et la buvette sont pris d’assaut, la musique certes ça nourrit l’esprit mais à 21 heures d’autres besoins se font sentir.

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Les Jazz Paddlers entrent en scène. Mais quel est donc ce groupe au nom mêlant musique et glisse ? Un projet initié par un guitariste de la région et surfer lui-même, celui qui fait partie de la formation actuelle de Billy Cobham après avoir joué avec Didier Lockwood, Claude Nougaro et tant d’autres, le grand Jean-Marie Ecay. L’idée est de réunir une formation de surfers mais surtout – on va vite l’entendre – de super musiciens.

Aux claviers, la Marmotte, Camélia Ben Naceur elle aussi titulaire chez le grand Billy. C’est toujours un régal de voir et entendre ce petit bout de femme qui est une boule d’énergie musicale, si expressive dans son jeu et qui groove grave.

A la basse, David Faury surfer de Labenne et redoutable sideman, à la batterie Joris Seguin, le jeune batteur bordelais qui s’est déjà fait une belle réputation – méritée – dans le milieu. Si je ne suis pas capable de juger des performances de glisse de nos compères, musicalement ça tient très bien la vague.

Le répertoire est essentiellement bâti sur des compositions de JME. Du jazz fusion et du blues. Jean-Marie Ecay est un sacré guitariste qui a le mérite de ne pas jouer au guitar heroe, il est notamment très à l’aise dans les ballades qu’il interprète avec beaucoup de sensibilité. Sa guitare silhouette – une Silent de Yamaha – au son magnifique est aussi élégante à voir qu’à entendre. Joli clin d’œil à Nougaro avec  « bras dessus, bras dessous » qu’il avait composé pour son ultime album en 97. Fin de set plus électrique avec quelques réminiscences de Jimi mais sans tapage, l’élégance toujours. Derrière, ça assure très grave, carré et précis. Mais l’attraction, c’est Camélia, elle arrive à faire groover la moindre ballade, arc boutée sur ses claviers, le nez dans les partitions – qu’elle travaille depuis huit jours m’a-t-elle dit – chantant chaque note, grimaçant, se tortillant, s’agenouillant, un vrai spectacle à elle seule. Quelle pianiste ! Que ce soit devant une poignée de spectateurs, quelques centaines comme hier ou des milliers avec Cobham elle est toujours au taquet ; « quand je joue je joue » me dira-t-elle.

Bien belle soirée encore ponctuée d’un incident insolite, un père en larme surgissant sur la scène et prenant le micro en pleine impro de blues à la recherche de son fils « disparu ». Avec toute cette eau si proche, l’inquiétude et l’émotion envahissent aussitôt l’assistance. Belle réaction de Jean-Marie Ecay qui jugeant que cela était plus important que la musique décide de ne pas reprendre le concert tant que l’enfant ne serait pas retrouvé ; heureusement et rapidement, l’enfant réapparaît et le quartet reprend comme si de rien n’était.

Pas de rappel, incident et début du feu d’artifice oblige, dommage car on aurait bien surfé quelques vagues de plus sur le lac de Lacanau

Bravo aux organisateurs –  sous la houlette de Gislaine Gaye – de réussir à mêler ainsi des spectacles de grande qualité à des manifestations populaires, permettant ainsi au public non initié d’élargir un spectre musical formaté par la télé et trop de radios.